Bonjour, petit moment de réflexion avant d’écrire cet article… Où vais-je le ranger : mes  « lectures » avec ce poème de Charles Baudelaire ? Ou encore  »écriture », parce que je vais y aborder l’un de mes moteurs ? Ou encore ma  »vie d’autrice » , puisqu’il s’agit là d’une grande part de ma vie ? Me jugerez-vous étrange, de la classer dans l’onglet « Petits bonheurs » ? Je prends ce risque parce qu’en définitive, le sujet que je m’apprête à aborder fait bien partie de ces quatre éléments dont je compose mon blog : lecture écriture, vie d’autrice et petits bonheurs… aussi surprenant que cela puisse paraître.

Je souffre de spondylarthrite ankylosante depuis 2006. Qu’est-ce que c’est me demanderez-vous peut-être ? Il s’agit d’une maladie autoimmune rhumatismale. Une fois que cela est dit, sauf cas particuliers, on n’en connaît pas davantage. Cela a été mon cas à l’annonce du diagnostic. Le médecin a même dû écrire le nom de cette compagne particulière sur un bout de papier que j’ai tenu dans ma main, en lisant, incrédule, le nom de cette maladie dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. Il m’a fallu sept années d’attente, d’errance diagnostique, de consultations et d’examens, avant que son nom ne soit posé. Selon la HAS, il y aurait 180 000 malades rien qu’en France, et j’en fait partie. Comment cela se manifeste concrètement : des douleurs, parfois en continu, une fatigue invalidante, et les répercussions nombreuse sur la vie quotidienne. Tout un attirail qu’il faut avoir à la maison : minerves, genouillères, chevillères, une canne aussi parfois … je ne sais jamais, d’une semaine sur l’autre c’est très variable. Je peux passer une semaine à avoir besoin de ma canne pour marcher, puis la douleur s’en va progressivement et mes jambes suffisent. Certaines semaines ce ne sera que le dos, d’autres jours, j’aurai les mains extrêmement enflées et douloureuses (ou parfois une seule main, ou même un seul doigt) Oui, elle est capricieuse ma spondy 😉 ! Il faut suivre, et ce n’est pas toujours facile pour les personnes à qui l’on a à faire : un handicap invisible et à l’intensité très variable… pas toujours facile d’y faire face, notamment lorsque les préjugés s’en mêlent.

Il y a aussi toutes ces répercussions auxquelles on pensait, qu’on voyait venir du coin de l’oeil et qui se font plus présentes à mesure que le temps passe : l’impossibilité d’exercer mon emploi à temps plein, ainsi que les conséquences économiques que cela implique (désolée de parler d’argent, mais c’est une réalité, mi-temps implique demi-salaire également ; le temps de découvrir les conséquences sur ma retraite viendra peut-être, pour l’instant, je tente de ne pas y penser)

Quant-aux répercussions auxquelles on ne pense pas, on les découvre à des occasions surprenantes : quand on tente de renégocier son prêt, ou quand on veut souscrire à une assurance décès (quelque chose d’assez simple et courant pour couvrir les frais d’obsèques par exemple) : j’ai vite compris que le questionnaire qui était proposé à mon mari à ces occasions et celui que je devais remplir n’étaient pas les mêmes, et que parfois, le nombre de pièces justificatives à fournir ou de démarches supplémentaires à faire ne manquaient pas de me décourager. Il y des situations qui me font rire, comme ma tête lorsque j’ai découvert les modèles de chaussures orthopédiques à la pharmacie. 😂

Et enfin, il y a ce que le temps m’a appris en compagnie de cette coach de vie très particulière !

J’aurais probablement été incapable de penser comme je le fais actuellement. Quelques années en arrière, je voyais tout en noir et je ne m’en blâme pas : la douleur était telle qu’elle obscurcissait tout et le plus difficile était que je tentais à tout prix de vivre la vie que je m’étais choisie. Celle d’une maman dynamique, une fée du logis, une personne présente et toujours volontaire, une enseignante plus que zélée, jusqu’au jour où j’ai compris que ce n’était plus tenable, pour moi compte tenu de mes capacités. Je suis toujours une maman aimante, mais moins dynamique certains jours, j’ai abandonné l’obsession du rangement, je ne me reproche plus mes absences aux sorties et aux repas (enfin, moins longtemps qu’auparavant 😅), et je suis toujours une enseignante zélée, mais à 50 % du temps. C’est toute une philosophie de vie qu’il m’a fallu réapprendre, et que je tente de garder chaque jour. Je ne le cache pas, il y a des moments de découragement, mais j’essaie de garder ce cap qui me montre que depuis le diagnostic, de merveilleuses choses se sont produites également. Si j’ai fait face aux préjugés et parfois à des attaques, j’ai surtout découvert de nombreuses personnes bienveillantes sur mon chemin. Lorsque les douleurs et la fatigue sont trop présentes, je ralentis mon rythme de vie, et je profite de la vue. Je me suis redécouverte contemplative. Je me suis découverte inspirée également : je n’aurais jamais soupçonné que j’étais capable d’écrire un livre. D’ailleurs, dans mon dernier roman, Sous un manteau d’hiver, j’ai beaucoup hésité à parler de moi. Même si j’avais accepté ma maladie, même si je ne cachais pas que j’étais malade, en parler aussi ouvertement a tout de même été un challenge. Tout n’est pas dit dans ce livre, j’avais trop d’anecdotes, mais l’essentiel est là, et par-dessus tout, je voulais qu’il en ressorte quelque chose de beau. Il y avait des choses que j’avais probablement besoin de dire, et le roman a été le moyen de faire passer ma façon de voir cette pathologie, du moins, la manière dont je vis cette expérience : ma vie m’a présenté un défi, et j’explore une manière créative de le relever, avec une sensibilité assumée. Je lis, et je redécouvre des classiques, je découvre de nouveaux auteurs, certains peu connus, d’autres célèbres et il y a toujours cette fragilité qui fait écho en moi comme jamais auparavant. Il y a ce passage de Candide :

« Cette faiblesse ridicule est peut-être un de nos penchants les plus funestes; car y a t-il rien de plus sot que de vouloir porter continuellement un fardeau qu’on veut toujours jeter par terre? d’avoir son être en horreur, et de tenir à son être? enfin de caresser le serpent qui nous dévore, jusqu’à ce qu’il nous ait mangé le coeur? »

Ou encore ce poème de Baudelaire :

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

Et alors, je garde ces mots, touchée par leur beauté, et la justesse avec laquelle ils résonnent en moi :

« Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche. »

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